Jim Lynch est né en 1961. Après ses études, il a sillonné le pays en tant que reporter pour des journaux en Alaska, en Virginie et à Washington D.C. Il est l’auteur de quatre romans et collabore régulièrement avec plusieurs journaux, dont le Seattle times. Jim Lynch vit et navigue à Olympia, dans l’État de Washington.
FACE AU VENT, traduit en français est sorti cette semaine en librairie. Ce roman, écrit par un marin, dépasse le cadre de notre terrain de jeu habituel…A lire pendant que nos unités patientes au chantier !
Jim Lynch viendra à notre rencontre au Yacht Club de France, lors de son passage en France prochain.
Disponible en librairie – 23,20 € – 368 pages – Editions Gallmeister
Dans la famille Johannsen, la voile est une question d’ADN. Installés au cœur de la baie de Seattle, le grand-père dessine les voiliers, le père les construit, la mère, admiratrice d’Einstein, calcule leurs trajectoires. Si les deux frères, Bernard et Josh, ont hérité de cette passion, c’est la jeune et charismatique Ruby qui sait le mieux jouer avec les éléments. Seule sur un bateau, elle fait corps avec le vent. Mais lorsqu’un jour elle décide d’abandonner cette carrière toute tracée, la famille explose. Bien des années plus tard, les parents se sont éloignés, Bernard a pris la fuite sur les océans, Ruby travaille dans l’humanitaire en Afrique. Quant à Josh, il cherche inlassablement son idéal féminin sur un chantier naval à Olympia. Douze ans après la rupture, une ultime course sera l’occasion de retrouvailles risquées pour cette famille attachante et dysfonctionnelle.
Oscillant sans cesse entre rires et larmes, le roman de Jim Lynch donne une furieuse envie de prendre le large.
Traduit de l’américain par Jean Esch
« Une histoire de famille brillamment construite… Une lecture exaltante. « THE WASHINGTON TIMES
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Le vocabulaire marin selon Jim Lynch (extrait).
Nous nous entraînions aux empannages et aux virements bascules, puis nous repartions, accélérions et nous arrêtions aux ordres. Tels des enfants gymnastes à qui on apprend à réaliser des flips avant qu’ils soient en âge d’avoir peur, nous naviguions pendant les orages, dans le brouillard et de nuit. Je n’avais pas conscience d’appartenir à une famille hors du commun, jusqu’au jour où, alors que nous traversions le détroit de Juan de Fuca en survolant des creux de quatre mètres, j’ai constaté qu’il n’y avait personne d’autre sur l’eau, et encore moins sous un spi violet. Quand nous nous sommes glissés derrière l’imposante digue de Port Townsend au cours de cette nuit glaciale, il est apparu qu’aucun bateau n’avait quitté les quais. J’ai vu des hommes regarder Père – de la vapeur s’échappait de son T-shirt – avec l’admiration mêlée d’eff roi que l’on réserve aux champions et aux malades mentaux. Bien que nous ayons appris les bases depuis longtemps, l nous les répétait sans cesse : comment lire l’eau et les voiles, comment voir et anticiper la géométrie changeante des zigzags les plus rapides sur le parcours. La plupart des tiroirs de sa vie étaient en désordre, mais c’était un perfectionniste de la voile. Si nous négligions nos tâches domestiques ou nos devoirs, il râlait rarement, mais si nous manquions un changement de vent de dix degrés, il se mettait à brailler. Si les drisses étaient mal enroulées ou – pire que tout – si les voiles claquaient inutilement ou étaient mal hissées, ajustées, affalées ou pliées, nous en payions les conséquences. Mais surtout, il nous implorait d’avancer plus vite, tout simplement. Course ou pas, il considérait que le fait d’aller moins vite que nécessaire était une insulte faite au bateau, au vent et au nom de notre famille. Mener un bateau aussi vite que possible vous apportait une chose essentielle – il appelait ça l’honneur – qui compensait la plupart des autres péchés. Le fait de bien naviguer nous off rait une chance de connaître la perfection interne, tel était son principe d’éducation. Ou, comme le disait notre mère, de comprendre une force invisible. La voile débutait par un lexique déroutant, et il n’y avait aucune pitié pour les erreurs d’identification. Certains mots ressemblaient à ce qu’ils désignaient : Mât, OK. Quille, évidemment. Et bien sûr, la si bien nommée bôme, l’objet le plus mortel si, boum, vous ne vous baissiez pas au bon moment. Très bien. Mais gauche, c’était bâbord, et droite, tribord. Pourquoi ? Qui avait décidé ça ? Même le jargon élémentaire semblait délibérément déconcertant. Les cordes étaient des bouts (prononcer “boutes”), mais elles devenaient des drisses quand elles servaient à hisser les voiles, et des écoutes quand elles servaient à les ajuster. Les noeuds étaient des noeuds, sauf quand ils étaient des noeuds, l’équivalent des milles marins (un peu plus de 1,8 km), le terme déroutant qui servait à indiquer la vitesse sur les bateaux, comme si le fait de flotter sur l’eau modifiait le temps et les distances. Mais c’était le jargon, et personne ne s’en écartait. Quand on orientait la proue face au vent et que les voiles se balançaient du côté opposé, on virait de bord. Mais on disait aussi louvoyer, un terme qui évoquait davantage une promenade que les virages à angle droit qu’il était censé décrire. Paré à virer ! est ce qu’on devait crier avant de virer de bord, même s’il n’y avait pas grand-chose à parer alors que le vent soufflait à peine et que le plus difficile était de trouver assez d’air pour faire basculer la voile. Depuis des millénaires, personne n’a inventé, apparemment, une expression appropriée pour décrire le fait de naviguer de travers, face au vent, mais pas totalement. Les options : naviguer au près (près de quoi ?), au bon plein (plein ? de quoi ?) ou au travers (au travers de quoi ?). Et si vous étiez trop face au vent, si votre voile se mettait à claquer, on disait qu’elle faseyait, ce qui évoquait une tout autre image. Les motifs de perplexité étaient infinis. Quand vos voiles étaient à bâbord, vous étiez tribord amures et vous aviez la priorité. Il y avait même deux vents à surveiller, le réel et l’apparent. Pour Grumps, tout ce jargon participait d’un complot, afin que le simple fait de naviguer paraisse intimidant. Pour ma part, je pense que le glossaire nautique a été inventé par des individus qui avaient du mal à s’exprimer, puis perpétué par leurs successeurs au langage inarticulé, qui s’y sont accrochés comme une tribu s’accroche à une langue agonisante. Mais notre tâche consistait à maîtriser le sujet et non à réfléchir au vocabulaire. Néanmoins, tous ces termes tournoyaient dans ma tête. Une expression qui avait toujours un sens était naviguer vent arrière. N’importe qui pouvait visualiser le plus ancien et le plus simple des moyens de navigation : hisser une peau de bête au-dessus du radeau et laisser le vent vous pousser sur l’eau. Depuis, cet art a été perfectionné à coups de spis gonflés et de coques bondissantes,
mais naviguer vent arrière est devenu filer vent arrière ou, mieux encore, au portant, une expression qui ressemblait à une phrase tirée du mythe d’Atlas ou aux premiers mots d’une fable menaçante. J’avais tendance à m’attarder un peu trop sur ce genre de choses, je l’avoue. Père me traitait d’intellectuel, ce qui n’était pas un compliment dans sa bouche. Il me classait dans le camp de Mère, en guerre contre lui et tous ceux qui agissaient. Les intellectuels, m’avait-il dit, ne remportent pas de régates.
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